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Analog Collector - le blog
3 octobre 2011

Chronique de disque : I Musici par Speakers Corner

imusiciEn 1952, la création d’I Musici à Rome marque un tournant dans l’interprétation du répertoire baroque, que l’on redécouvre depuis peu. Pour la première fois, on allait jouer au XXe siècle cette musique avec un visage totalement nouveau, en limitant le nombre de pupitres à onze instruments à cordes et un clavecin. Cet ensemble, qui joue sans chef, doit sa fondation au célèbre violoniste italien Remy Principe (1889-1977), également professeur à l’Académie Sainte-Cécile, qui, au tout début des années 1950, incite ses étudiants à jouer la musique de Vivaldi et de ses contemporains avec grâce, entrain et légèreté. Qui n’a jamais entendu les Quatre Saisons du Prêtre Roux dans l'une des six affriolantes versions d’I Musici publiées entre 1955 et 1995 ? Au fil des ans, les pupitres se sont renouvelés et l’ensemble a élargi son répertoire à la musique du XXe siècle, comme en témoigne cette réédition par Speakers Corner d’un enregistrement réalisé en 1961 par le label Philips et consacré aux compositeurs Ottorino Respighi, Samuel Barber, Béla Bartók et Benjamin Britten.

Dans la « renaissance » de la musique italienne au XXe siècle, Ottorino Respighi (1879-1936) occupe une place de premier ordre. Loin de l’avant-garde de son époque, il allie pureté et rigueur à une conception très sensuelle de l’écriture musicale, tout en restant fidèle au poème symphonique. Détenteur d’un solide métier, sa parfaite connaissance de l'orchestre et son goût prononcé pour le chatoiement orchestral sont immédiatement reconnaissables. Il est parfois proche des compositeurs dits « impressionnistes » dans sa transposition sonore de l'impression sensible. Respighi apprécie enfin les modes archaïques et orientaux, qu’il manie à la perfection. Cette synthèse d'éléments classiques, postromantiques et modernes, toujours judicieusement agencés, révèle toute sa splendeur dans les Airs anciens et danses pour luth que Respighi a orchestrés avec un remarquable savoir-faire.

De son côté, la musique de Samuel Barber (1910-1981) déploie une grande maîtrise compositionnelle construite à partir de sensibilités et de structures davantage tournées vers le romantisme. Elle est lyrique, sophistiquée du point de vue rythmique et riche en harmonies. Assez variée – elle touche tous les domaines de composition : mélodie, sérénade, symphonie, quatuor… –, cette musique sera défendue par des artistes et chefs d'orchestre de renom, comme Vladimir Horowitz, Arturo Toscanini, Dmitri Mitropoulos ou Leontyne Price, pour ne citer qu’eux. Pourtant, trente ans après sa mort, Barber reste, pour de nombreux mélomanes, avant tout le compositeur de l’Adagio pour cordes, une transcription voluptueuse et sensuelle d’un mouvement de son Quatuor à cordes n° 1 Opus 11 composé en 1936, connue dans le monde entier, à travers notamment le cinéma – Elephant Man de David Lynch, Platoon d’Oliver Stone… –, et fréquemment jouée en concert. Il s’agit d’un long flot mélodique traversé de subtiles modulations qui évoquent par instants Mahler. Le compositeur arrangea aussi ce morceau pour un chœur à huit voix en 1967, sous le titre d’Agnus Dei.

Les Danses populaires roumaines de Béla Bartók (1881-1945) ont d'abord été écrites pour piano à quatre mains en 1915. Ce n'est qu'en 1917 que Bartók décide, en raison de leur succès, d’en réaliser une transcription pour petit orchestre. Avec cet arrangement, il souhaite préserver le caractère intime et enlevé de ces danses, basées sur des mélodies populaires roumaines, en évitant l'obstacle de l'orchestre symphonique. Le génie de Bartók aura été d’harmoniser chaque mélodie différemment les unes des autres et de respecter les modes et échelles propres à cette musique. Bref, cette ravissante succession de courtes pièces caractéristiques nous invite à un très agréable voyage en terre roumaine.

Benjamin Britten (1913-1976) nous a laissé un héritage musical plutôt « conventionnel », à l’écart de tout courant avant-gardiste, préférant rendre hommage aux musiques du Moyen Âge et au bel canto. Créée en 1934, la Simple Symphony Opus 4 est une œuvre d’ambition et de dimensions modestes. Écrite en quatre mouvements pour un orchestre à cordes, elle utilise des thèmes empruntés à des œuvres de jeunesse du compositeur. Le Frolicsome Finale (« Finale espiègle ») avec ses allures haydniennes est particulièrement savoureux !

Cet attrayant programme nous offre une vision totalement nouvelle d’I Musici, que l’on associe trop souvent aux seules Quatre Saisons de Vivaldi. L’interprétation ne mérite que des éloges. C’est mordant et souple à la fois, l’allure est spontanée et rien ne vient jamais altérer le grain des cordes. La finesse des détails, la décontraction dans la respiration, la sobriété des attaques, tout est posé, mesuré, et l’on ne s’ennuie jamais. Dans l’Adagio de Barber, les I Musici donnent une dimension quasi-mystique au tube du compositeur américain. Dans les Airs anciens et danses pour luth de Respighi, nos Italiens imposent une approche théâtrale sans édulcorant, donnant au texte une affable saveur. Les Danses populaires roumaines de Bartók leur offrent l’occasion d’imposer leur science du timbre avec une bonhomie bien sympathique. On sera tout aussi enthousiaste avec la Simple Symphony de Britten aux sonorités charnues comme il se doit. Si l’on s’enivre aisément de ce beau vinyle, on a, en revanche, bien du mal à le quitter !

 

Philippe Demeure, journaliste
pour Analog Collector 

 

Note technique : 8/10. Acoustique naturelle. Prise de son précise et équilibrée.

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