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Analog Collector - le blog
26 juin 2012

Un des plus beaux disques de Kirsten Flagstad

SIBELIUS – SONG RECITAL – KIRSTEN FLAGSTAD – DECCA

Bien que la plupart des œuvres de Sibelius soient devenues des tubes du répertoire classique dans les pays anglo-saxons et asiatiques, la France continue de se méfier du plus grand compositeur des pays scandinaves. Sa musique y est peu jouée et, dans leur ostracisme, les Français pêchent surtout par ignorance. Il faut dire aussi que le rejet de cette musique, jugée réactionnaire et folklorisante par le courant sériel, mené par Boulez, et la diatribe de Leibowitz, pour qui Sibelius était « le plus mauvais compositeur du monde », n’ont pas facilité les choses. Fort heureusement, son art fait depuis quelque temps l’objet d’une lente réhabilitation au sein des musiciens français, de l’école spectrale notamment – Dufourt, Grisey, Murail… Il gagne par ailleurs peu à peu du terrain dans la programmation des salles de concert. La musique de Sibelius n'est pas d'un abord facile. Un rien sévère, elle doit être apprivoisée. Cet univers fait de variations délicates, de tensions, de violence contenue… peut sembler déroutant à la première écoute. Et pourtant, si l’on prend la peine et le temps de s’y immerger, quel bonheur, quel délice comme en témoigne le récital de mélodies avec orchestre, chantées par la célèbre soprano norvégienne Kirsten Flagstad, que vient de rééditer Speaker Corners !

Sibelius, un musicien tourmenté

Sibelius

Sibelius naît en Finlande le 8 décembre 1865 au nord d'Helsinki dans une famille lettrée. Il étudie le droit, mais abandonne rapidement au profit de la musique. À l’âge de 20 ans, il entre à l’Institut de musique d’Helsinki pour apprendre le violon mais, contrairement à ce qu’il aurait souhaité, il ne deviendra jamais un virtuose de cet instrument. De 1889 à 1891, il poursuit et affine sa formation à Berlin puis à Vienne. Il se tourne ensuite vers l'enseignement et la composition. De retour à Helsinki en 1892, il y enseigne la théorie musicale. Entre 1900 et 1929, encouragé par son entourage, malgré de longues périodes de dépression, il se consacre presque exclusivement à la composition. En 1892, sa symphonie pour solistes, chœur et orchestre, Kullervo, le rend célèbre dans son pays. Il devient le musicien de toute une nation par excellence et obtient, par la même occasion, une bourse d’État annuelle qui lui permet de composer l’esprit tranquille.

En 1904, Sibelius gagne une bourgade reculée, Järvenpää, à quarante kilomètres au nord d’Helsinki. La nature, la pureté des lacs et les nuits étoilées, la fonte des neiges et l’envol des cygnes migrateurs lui inspirent quelques-unes de ses plus belles pages orchestrales. Il ne quitte son chalet forestier que pour des tournées de concerts. En 1927, il publie ses ultimes partitions et se retranche dans un silence artistique quasi définitif jusqu'à sa mort le 20 septembre 1957, à l'âge de quatre-vingt-onze ans. Sibelius a écrit sept symphonies, des poèmes symphoniques, quatre légendes d’après le Kelevala, dont le célèbre Cygne de Tuonela, des musiques de scène, de nombreuses pièces pianistiques et de musique de chambre. Il laisse aussi derrière lui un corpus important de mélodies avec piano ou avec orchestre.

Sibelius et la mélodie

Bien que Sibelius soit surtout réputé aujourd’hui pour sa musique orchestrale, notamment ses poèmes symphoniques, il a donné à la mélodie nordique toutes ses lettres de noblesse. Psychologiquement, Sibelius n’était pas un homme serein et ses mélodies sont souvent sombres, voire inquiètes. Il écrira près de quatre-vingt-dix mélodies suédoises, quelques-unes en allemand, en finnois, en anglais et en français. Le compositeur incarne la quintessence de l’âme scandinave. Il se nourrit des poètes de la nature : partout s’élèvent le parfum et la grandeur mélodique des paysages nordiques. Parmi ces sources d’inspiration, citons les poètes Runeberg (1804-1817), le panthéiste Rydberg (1804-1817) ou le romantique Tavaststjerna (1860-1898). Sibelius adapte son écriture délicate à la prosodie des textes qu’il choisit. « [Il] l’harmonise en effet aux toniques longues et aux gutturales sombres et chantantes du suédois ou aux riches sons vocaliques du finnois » (P. Saint-André).

Doué d’un remarquable sens de la concision, le compositeur opte le plus souvent pour des mélodies courtes en brossant avec peu de moyens les atmosphères et les sentiments raffinés des poèmes qu’il met en musique. La plupart des mélodies de Sibelius sont écrites pour voix de soprano, mais certaines sont également conçues pour voix de mezzo-soprano ou de baryton. Elles dévoilent une riche palette expressive : « récitatif cru, parlando, déclamation traitée en mélodie continue ou inversement, fragmentée, déchirée, dessins légers, parfois pudiques […] Le vent du large souffle sa mélancolie avec force de vie » (P. Saint-André). Les plus réussies d’entre elles sont serties dans un voluptueux écrin orchestral.

Les mélodies de Sibelius par Kirsten Flagstad face aux versions modernes

Kirsten Flagstad enregistre ce disque en février 1958 au Kingsway Hall de Londres, au faîte de sa gloire musicale sur les grandes scènes internationales alors qu’elle est considérée comme l’interprète wagnérienne la plus importante de son temps. Fille d'un chef d'orchestre et d'une pianiste, elle fait ses débuts à l'Opéra d'Oslo en 1913. Pendant vingt ans, elle fait une carrière très modeste dans la capitale norvégienne, puis en Suède à Göteborg, dans un large répertoire. Elle est engagée en 1933 à Bayreuth dans les rôles secondaires d'Ortlinde de la Walkyrie et de la troisième Norne du Crépuscule des dieux. Ses débuts au Metropolitan Opera de New York, deux ans plus tard, dans le rôle de Sieglinde dans la Walkyrie font sensation et la consacrent définitivement. Elle fait ses adieux officiels à la scène en 1953.

Par sa sérénité, sa présence vocale et physique, Kirsten Flagstad reste encore aujourd’hui, avec cet enregistrement, l’une des interprètes clés des mélodies de Sibelius avec orchestre. Elle n’a été égalée par personne si ce n’est peut-être, ces dernières années, par les sopranos finlandaises Karita Mattila – Orchestre Symphonique de Birmingham, dir. Sakari Oramo, Warner – et Soile Isokoski – Orchestre Philharmonique d’Helsinski, dir. Leif Segerstam, Ondine –, aux caractères bien trempés, qui ont, toutes les deux, gravé deux anthologies de mélodies de toute beauté. Mais Kirsten Flagstad conserve pour elle son intelligibilité, sa puissance dramatique et l’éclat de son émission de voix comme en témoignent les nombreux enregistrements audio et vidéo que l’on peut trouver de nos jours sur la Toile. Côté orchestre, belle direction de Øivin Fjeldstadt qui porte une attention constante au chant et sait, comme bien peu le font avec Sibelius en général, souligner les couleurs contrastées des partitions des mélodies qu’il aborde pour en souligner la poésie lunaire. Un des plus beaux disques de Kirsten Flagstad pour (re)découvrir un répertoire injustement méconnu.

                                                                                                                       Philippe Demeure
                                                                                                                       Pour Analog Collector

Technique : 07/10 – Bon équilibre entre la chanteuse et l’orchestre. Timbre soyeux. Léger manque d’aération sonore

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